Mme Boeglin,

A la suite de la conférence organisée sur le projet d’incinérateur, vous avez apporté, dans la presse locale, un certain nombre d’éléments qui ne peuvent nous laisser silencieux.

Vous dites d’abord que : «  La taille de l’unité de traitement des déchets a été choisie par rapport à la production de la population. ». Vous savez pourtant que la capacité de traitement est sujette à caution. Pour mémoire, nous vous rappelons ce qu’écrivait à ce propos le commissaire enquêteur dans son rapport consacré au Plan de Gestion des Déchets : « « les chiffres restent inexpliqués, et sans motivation expresse...  » et un peu plus loin : « Les chiffres [...] pour le dimensionnement de l’unité de valorisation énergétique et des volumes d’enfouissement et qui figurent au dossier du plan restent sans explication suffisante... ». Ces doutes sont d’ailleurs, vous le savez aussi, ceux émis par le préfet dans son avis. Évidemment, la taille de ce projet est déterminante puisqu’elle conditionnera le coût de l’investissement et l’équilibre financier global. Selon nos recherches, appuyées sur l’expertise de l’ONG « Zéro Waste », ce dimensionnement ne tient pas compte de la baisse prévisible du gisement d’OMR liée à l’application de la redevance incitative, à l’évolution du cadre législatif ou à la mise en place de mesures volontaristes.

Vous poursuivez en précisant : « Ce n’est pas parce qu’on va implanter un incinérateur qu’on va arrêter les actions mises en place au niveau des déchets. ». Nous n’en doutons pas. Mais comment, demain, nourrir un four de 60 000 tonnes si le volume des déchets est inférieur à ce chiffre ? Or, les projections faites par le Conseil Général s’arrêtent à 2026, soit à peine 5 ans après la mise en service d’un incinérateur prévu pour fonctionner 40 ans. Si les actions pour réduire nos déchets (redevance incitative, méthanisation, tri, efforts des industriels…) portent leurs fruits, cet incinérateur sera alors rapidement surdimensionné. Le coût de son fonctionnement devra être supporté par le contribuable. La Cour des Comptes, elle-même, dans un rapport de 2011 pointe ce problème. Selon Penelope Vincent-Sweet, pilote du réseau Déchets de FNE, « De nombreux cas similaires à ceux relevés par la Cour des Comptes existent en France. Comme les incinérateurs peinent à remplir leurs fours, les collectivités hésitent à appuyer fortement la prévention par peur de manquer de déchets et de mettre en péril la viabilité financière de leur équipement.  »

Nous vous rappelons, là encore en nous appuyant sur l’avis émis par le préfet, que les incinérateurs de nos voisins sont eux-mêmes, d’ors et déjà, surdimensionnés : « II apparaît en effet que les incinérateurs de Montereau-fault-Yonne et de Reims ne fonctionnent pas non plus aujourd’hui au maximum de leur capacité nominale autorisée, fixée à 72 000 tonnes par an pour le premier et à 97 500 tonnes par an pour le second. De plus, les vides de four constatés aujourd’hui pourraient s’amplifier d’ici 2020 avec l’impact attendu sur le volume global des déchets produits, de la mise en oeuvre du « volet prévention » des plans de gestion des déchets de ces départements. ».

S’agissant de la dimension sanitaire vous dites : « Comme c’est une usine d’incinération, ça pollue moins qu’un feu d’artifice...  ». Dans les faits, 50 tonnes de résidus hautement toxiques sortiront des fours de cette unité chaque jour. Nous vous rappelons par ailleurs que de nombreux scientifiques, en France, ont pris position contre l’incinération. 102 médecins, en Charente-Maritime, ont émis un avis défavorable à un projet similaire. Ceux-ci indiquent que plusieurs centaines de molécules se retrouvent dans le panache d’un incinérateur. Nous sommes donc loin d’un simple « feu d’artifice ». Ces scientifiques mettent également en garde sur « l’effet cocktail » et l’exposition à long de terme des populations à ces molécules. 130 000 habitants seront ici concernés et vivront pendant des dizaines d’années sous les fumées de cet incinérateur dont on ne connaît pas les effets sanitaires à long terme.

Vous finissez en affirmant : « On a également prévu de communiquer sur le projet mais pas avant d’avoir fini de le bâtir. » Un tel projet mérite mieux. Par son coût et ses répercussions environnementales, il doit faire l’objet d’un débat démocratique profond et complet, avant que les décisions ne soient définitivement arrêtées. C’est ce que nous demandons et c’est ce que nous avons amorcé par cette première réunion publique tenue à Troyes le 23 avril dernier.

Nous restons à votre disposition pour développer nos analyses sur ce projet et les propositions alternatives que nous croyons bien plus profitables économiquement et écologiquement.

Cordialement,

P. Houplon, ( Président de l’association CODE10)